Une étude, pour quoi faire ?
La réalisation d’une restauration est souvent précédée en amont de ce que l’on appelle « une étude préalable ». Plus ou moins poussée, cette étude est destinée à préparer le mieux possible les travaux de restauration.
L’atelier en réalise de manière très fréquente : commande d’état ou de collectivité locale, parfois de musée, l’étude préalable permet d’une part de mieux connaître les œuvres ( leurs techniques, leur histoire ) et de cerner tous les problèmes liés à leur conservation actuelle et future ; d’autre part elle s’intéresse aux budgets qui seront nécessaires à l’exécution des différentes phases de travaux.
Souvent, lorsqu’une commune souhaite faire restaurer les vitraux de son église, elle ignore quelles sont les urgences. Par où commencer les travaux ? Est-il nécessaire de restaurer toutes les baies ? Faut-il déposer certains vitraux pour les restaurer en atelier ? D’autres corps de métier doivent-ils intervenir?
Ainsi , fréquemment , l’atelier procède à de petites études qualifiées de « préliminaires ». Ces études permettent de « dégrossir » les problèmes, à savoir d’éviter le risque, pour les services techniques qui ne sont pas formés à ce type de diagnostic, de passer à côté des données essentielles.
Conseillée et informée des urgences à traiter, la commune peut ainsi prévoir son budget, demander éventuellement des subventions et organiser une exécution en plusieurs phases selon les besoins.
Plus approfondie , l’étude préalable est souvent menée en collaboration ou en sous-traitance avec le maître d’œuvre, c’est-à-dire l’architecte en charge de l’édifice. Le restaurateur élabore pour lui :
>> Un constat d’état dans lequel tous les éléments constitutifs des vitraux ( verres, plombs, peintures ) et les éléments structuraux ( maçonnerie, serrurerie ) seront examinés ; pour chacun, nous considérons son authenticité ( c’est-à-dire que nous déterminons si l’élément est original ou pas ), nous évaluons sa datation, puis nous émettons un avis sur son état de conservation. Pour la maçonnerie et les structures métalliques porteuses, les avis de l’architecte, du maçon et du serrurier sont indispensables.
Pour les vitraux classés, l’échange pluridisciplinaire est encore plus important. Les historiens d’art nous apportent une aide précieuse et répondent à nos interrogations sur des datations complexes, sur la filiation des œuvres, sur leur(s) auteur(s).
Le Laboratoire de Recherche des Monuments Historiques intervient si nécessaire pour répondre à des questions scientifiques précises : composition des matières premières, nature des phénomènes d’altération…
Tout ce travail se concrétise autour d’un rapport écrit, de relevés graphiques et d’une documentation photographique permettant d’enrichir la connaissance des vitraux et de décrire précisément leur état de conservation.
>> Un diagnostic, c’est-à-dire qu’en fonction des altérations observées et de l’environnement des œuvres, nous allons expliquer dans la mesure du possible pourquoi et comment les vitraux se sont altérés.
>> Des propositions d’intervention répondant aux problèmes posés. Parfois, une intervention légère de simple entretien peut suffire pour une baie. Mais sa voisine en revanche nécessite une restauration plus lourde.
Chaque cas est différent. Dans cet esprit, le restaurateur prépare un cahier des charges. Il s’agit d’un document qui va venir préciser, verrière par verrière, panneau par panneau, et parfois à l’échelle du verre, quels types d’interventions de restauration sont nécessaires.
Les interventions peuvent être classées par ordre de priorité sur des critères strictement conservatoires, mais il est possible d’agir différemment si d’emblée un programme de restauration systématique a été prévu dans l’édifice ( comme à la cathédrale de Chartres par exemple ).
A l’issue de l’étude sera évaluée « une enveloppe budgétaire» correspondant au cahier des charges, ceci afin de lancer, lorsque le budget dépasse un certain seuil, une procédure de marché public.
Bien que tous les professionnels du patrimoine s’accordent à dire qu’on ne peut acheter une restauration comme un service banal et standardisé, nous demeurons en attente de procédures spécifiques reconnaissant « l’exception patrimoniale ».
Il est donc évident que plus l’étude préalable est sérieuse et précise, plus le cahier des charges établi en vue de la restauration sera fiable. Trois avantages majeurs en découlent :
- Ayant appréhendé l’ensemble des problèmes posés « in situ », on prévoit d’ores et déjà les éventuels systèmes de protection nécessaires à la conservation des verrières.
- On limite les mauvaises surprises budgétaires.
- On propose aux professionnels candidats à la restauration une trame d’interventions quantifiées qu’il s ne pourraient établir eux-mêmes par une observation éloignée des œuvres.
On comprend ainsi que le degré de précision d’une étude hormis la compétence de celui qui la mène est lié au moyen d’accès utilisé. Plus nous approchons de près les vitraux, plus l’observation sera fine. De fait, les approches par nacelle, échafaudage, ou la manipulation de panneaux déjà déposés, permettront d’élaborer un constat d’état plus fiable que celui établi par un simple examen du sol ou à la jumelle.
L’approche directe des panneaux permet en outre d’élaborer des protocoles de restauration, c’est-à-dire de tester, directement sur les œuvres mais sur de petites surfaces, différentes méthodes, en particulier en vue du nettoyage ou de la consolidation des matières picturales. Toutes les méthodes testées visent à sélectionner celle( s) qui répondront au mieux au(x) problèmes(s) posé(s) et qui garantiront une innocuité des traitements. Dans des cas difficiles, une collaboration s’instaure avec le Laboratoire de recherche des Monuments Historiques afin de valider en sécurité les protocoles.
Enfin, certains problèmes aigus de lacunes ( de verres ou du décor peint sur des verres encore conservés ) peuvent perturber la lisibilité des verrières. Le restaurateur est alors amené à proposer des solutions pour que les vitraux soient de nouveau compréhensibles, dans le respect de l’œuvre originale. De nombreuses pistes peuvent être exploitées, depuis l’observation des empreintes laissées sur le verre par des peintures disparues, l’interprétation des corrosions, en passant par la reprise du carton original ou l’étude d’un élément symétrique. Lorsque les techniques de réalisation présentent une originalité particulière, il convient parfois de rechercher expérimentalement à les reproduire dans la perspective d’une future restitution illusionniste. Cette recherche marque souvent un point important dans la connaissance de l’art et des techniques de tel atelier ou tel peintre-verrier.
L’ensemble de ces recherches pratiques constitue « la phase expérimentale » de l’étude.
Clin d’œil à ceux qui…
Travail à part entière, la réalisation d’études sur des grands ensembles de vitraux demande une concentration importante, une patience angélique et une résistance physique… Immobilisé devant les panneaux, suspendu dans une nacelle ou perché en haut d’un échafaudage, le restaurateur consigne inlassablement les données. Je remercie toutes les équipes, collaborateurs et stagiaires , qui endurent ou ont enduré les grands froids, les positions inconfortables en altitude et la cohabitation avec les pigeons… en particulier, avec grande amitié, celles qui constituent « le noyau dur » : Marie-Françoise Dromigny, Sylvie Poirson, Ludivine Rougeolle, Fabienne Buffet et Delphine Geronazzo dont le mémoire de fin d’études « De la jumelle à la table lumineuse, les conditions d’observation des études préalables à la restauration des vitraux » constitue une référence incontournable sur le sujet.
Il faut souligner le travail remarquable accompli par Marie-Françoise Dromigny, responsable de la Section Vitrail à l’Ecole Nationale Supérieure des Arts Appliqué et des Métiers d’Art , qui s’est impliquée pour expérimenter avec moi différentes méthodologies du constat d’état. Dans les années 1990, alors que la Ville de Paris encourage l’émergence de la discipline qu’est la conservation-restauration dans le domaine du vitrail, Marie-Françoise remet en question, précise, adapte ses connaissances de l’art du vitrail « traditionnel »à l’exercice particulier que constitue l’étude préalable. De chantier en chantier, nos échanges ont permis l’élaboration « d’un socle » d’approches par l’observation, aujourd’hui toujours mis en pratique à l’atelier.
D’autres professionnels interviennent en amont et jouent un rôle fondamental dans le montage des chantiers d’étude et de restauration de vitraux : conservateurs du patrimoine, architectes, historiens d’art, scientifiques, élus locaux. Selon leur métier, ils déclenchent, encadrent, participent, soutiennent, financent la réalisation de projets, petits ou grands. Sans leur volonté d’agir pour la sauvegarde de notre patrimoine vitrail, les missions d’étude confiées au restaurateur n’existeraient pas.
Quelques références
- A PARIS ( 75 )
Eglise saint-Germain- l’Auxerrois
Basilique sainte-Clotilde
Eglise saint-Laurent
Eglise saint-Jean-de-Montmartre
Eglise saint-Etienne-du-Mont
Eglise saint-Séverin
Eglise saint-Eustache
Eglise saint-Merry
Eglise saint-Germain-des-Prés
- EN ILE-DE-FRANCE
Eglise de Morigny-Champigny ( 91 )
Vitraux XIIe et XIXe de la Basilique de saint-Denis ( 93 )
Réserves du Musée National de la Renaissance ( Château d’Ecouen 95 )
- EN PROVINCE
Chapelle du Château de la Bâtie d’Urfé ( 42 )
Haut-chœur de la cathédrale de Chartres ( 28 )
Cathédrale d’Auxerre ( 89 )
Cathédrale de Limoges ( 87 )
Musée des Beaux –Arts de Dijon ( 21 )
Des travaux d’assistance technique en vue du déplacement et de la présentation de vitraux en exposition ont été également menés pour différents musées.
Seront présentés sur le site dans la rubrique « Actualités » quelques exemples de travaux illustrant des problématiques particulières.
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